Quand poésie rime avec histoire

 

Quand poésie rime avec histoire

 

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Aokas est cette belle contrée où on est, où on naît écrivain et poète ; où les vers pleuvent sous le soleil ; où les rimes paillonnent dans l’air ; où la langue et la culture amazighes sillonnent les pensées…

 

On est toujours surpris de découvrir que telle personne lambda, à l’allure simple et à la physionomie ordinaire, est en fait un poète authentique dont l’œuvre est tout simplement admirable et touche assurément toute sensibilité. Et on ne se lasse pas d’écouter les déclamations de ces bardes. La gent féminine aussi a ses poétesses qui ne tarissent pas d’inspiration pour nous offrir de belles paroles rythmées véhiculant des pensées profondes.

 

À ce titre, Chabane Mohand, poète et écrivain, bercé depuis son enfance par l’art poétique, vient de composer dans la langue de Voltaire, un long poème - en fait une véritable épopée - intitulé « Le rêve ». Cette évasion onirique nous transporte dans l’Antiquité où nous vivons auprès des personnages historiques que sont les aguellids berbères et les héros de la Numidie les multiples péripéties tour à tour extraordinaires, affligeantes et triomphantes.

 

La verve du poète et l’inspiration de l’écrivain nous emmènent au fil des quatrains à découvrir l’histoire antique de nos ancêtres où le courage côtoie la faiblesse, où l’amour succède à la haine, où la guerre engendre la paix. Des noms aussi illustres que Massinissa, Jughurta, Tacfarinas ou encore Koceila, la Kahina et bien d’autres, enveloppés dans un flot ininterrompu de rimes, nous deviennent désormais familiers tout en nous éclairant sur notre mémoire occultée.

 

Lire le poème de Chabane Mohand est assurément un bonheur et une délectation insignes. Pour celles et ceux qui n’ont pas le temps de lire les ouvrages d’histoire, cet hymne à la gloire de nos ancêtres est une aubaine pour connaître son passé froissé que notre artiste a repassé.

 

Lem

 

 

 

 

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LE  RÊVE

 

J’ai fait un rêve : un bateau fantôme

M’emmenait de Carthage à Rome.

 

Le roi Gaya sur son cheval numide

Regarde partir tristement sur les flots,

Dans la brume matinale, translucide,

Le navire guidé par les matelots.

 

L’ouragan se levant sur l’onde

M’arrache violemment du bastingage

Et m’envoie survoler le monde

Et fouiller dans le lointain des âges.

 

Me voilà planant comme un vautour

Dans un  firmament ensoleillé. Je vois

Se profiler des forteresses et des tours,

Des champs de batailles au bout du bois.

 

Là, Massinissa sur son fougueux alezan,

Domptant le tonnerre et gracieux,

Fait tournoyer sur les têtes son sabre persan

Qui étincelle comme l’éclair des cieux.

 

Et je vois au pied des grandes murailles

Trainer des corps mutilés et frémissants

Et non loin des sanglantes batailles

Grossir des fleuves maculés de sang.

 

Loin de Cirta, Sophonisbe, la belle,

Pleure sa destinée au pays du vieux

Syphax et rêve de palais, de citadelle

Sous de paisibles et meilleurs cieux,

 

Quand là-bas, au levant, au bord de l’eau,

Rugit le lion, l’aguellid massyle,

Les yeux éblouissants comme un flambeau

Et rageant contre le vieux Masséssyle.

 

Micipsa, ô sagesse séculaire !

O grandeur ! se détache dans la volupté.

On dirait, maîtrisant sa colère,

Un dieu qui, de la main, amadoue l’humanité.

 

Revoilà le Romain haineux à l’assaut

Da la Berberie son vivier, son grenier.

Il recrute à sa solde des vassaux.

Le Berbère réplique courageux et altier.

 

Gouda, Hiempsal, Adherbal, Masdranabal,

De la patrie défendant le triste sort,

Contrefont l’invincible Hannibal

Qui de Grenade à Zama affronte la mort.

 

Jugurtha le grand seigneur, le sublime

Pétri dans la guerre et la rébellion,

Comme un roi que la bravoure anime,

S’amuse, rieur, à étouffer le lion.

 

Son épée sortie des forges nouvelles,

Frappe de Rome les meilleures têtes.

On dirait dans la mêlée qui l’appelle

Un aigle royal qui affronte la tempête.

 

Entouré de ses fidèles soldats,

Guerriers qui assurent son aisance,

Il frappe rageusement aux pas de Cirta

Et fait, au loin, trembler Byzance.

 

Ecu contre écu, masse contre masse,

Pluie de flèches et de longs javelots.

Tout se trouble, tout périt et s’entasse

Au fond des ravins où gémissent les flots.

 

Les collines, imprenables belvédères,

Forts des Numides forts et farouches

Qui redoublent leur courage austère ;

Le mot Patrie est dans leurs bouches.

 

Il va devant ses troupes le grand roi des rois.

Devant ses pas souverains tout trépasse,

Tout s’écroule même les hauts beffrois.

On dirait d’Azraël le chariot qui passe.

 

Puis les plaines redeviennent calmes et douces

Et les montagnes paisibles un paradis.

La démocratie dans les cœurs trémousse

Et chasse au loin la haine de jadis.

 

Rien ne présage qu’un jour funèbre encor,

Cette liberté tant souhaitée et méritée

Se verra dans un mélancolique décor

Disparaitre dans de mortifères mêlées.

Allez, braves guerriers, affrontez l’enfer !

Partout le spectre funèbre de la mort

Plane. Et le fer battant le fer

Semble de Cirta, améliorer le sort.

 

Puis dans les plaines, les monts et les vaux

Se mêlent Peules, Berbères et Gaulois

Pour briser de ces Romains rivaux

La force soutenue par des Gallois.

 

Tout m’apparait et dans le ciel déborde

Et trace de merveilleuses trainées ;

Un ciel doux mais sans miséricorde.

Soudain, tel un astre, m’apparait Ptolémée.

 

Il a de Juba le regard du condor

Et de Jules César la puissance.

Son épée dont le pommeau est d’or

Frappe sa hanche par cadence.

 

Quand de Rome il empreinte les ruelles

Caligula tremble dans son trône ;

Et des gladiateurs l’arène cruelle

Clame son nom et le fredonne.

 

Son nom plane en Egypte, en Italie,

A la fois empereur et pharaon

Et se fait acclamer en Numidie

Et adorer comme Illou le Grand.

 

Mais Lyon, de Rome esclave asservie,

L’attire dans ses gouffres odieux

Et, alors qu’il aspire à la vie,

Il se retrouve mort à la merci des dieux.

 

La Numidie, jadis aussi dure que l’airain,

Loin de son roi compte ses jours sombres

Et la couronne symbole souverain

Traine dans les funèbres décombres.

 

Et Tacfarinas, des dunes brisant le silence

Et répandant sa fougue infernale,

Va devant, frappe, tue et s’élance

Pour sauver d’Auzia, la paix virginale.

 

La foudre sortant d’un nuage sombre

Me brise les ailes une à une

Et malheureux vautour je sombre

Seul abandonné à mon infortune.

 

Pendant que je descends dans les abimes

Où m’attend le sinistre trépas

Parmi ces personnages sublimes,

Le grand Chachnaq cria : je suis là !

 

Et sortant de la nue avec le tonnerre

Dans une stature de surhumain,

Du regard il balaye la terre.

Il semble dominer le genre humain.

 

Et maniant la masse et le glaive

Sur la tête et le front des nations,

D’une main intrépide, il me relève

Et m’incorpore dans ses bataillons.

 

Pharaon devant lui se prosterne.

Toute l’Egypte se met à ses genoux.

Khéops, devant lui petite et terne,

N’a rien de bon pour calmer son courroux.

 

« Debout peuple original et souverain,

Nul n’est à la hauteur de ton mérite.

Debout Berbères aussi forts que l’airain

Et que dure votre courage émérite.

 

« Restez éveillés ! Soyez-le encore

Et luttez sans fin pour l’éternelle gloire !

Un feu me consume et me dévore

Quand on détourne le fil de mon histoire. »

 

C’est ainsi qu’il me parla, le grand roi,

Avec des yeux malicieux et funèbres

Puis dans un ciel transi d’effroi

Il se dissipe et retourne dans les ténèbres.

 

La Kahina, reine et devineresse,

Défend, contre les hordes sauvages,

Son peuple comme une tigresse

Le ferait pour ses petits de bas âges.

 

Kocéïla, de la terre ouvre les entrailles

Et y jette Okba de rage frémissant.

Il est de ces funestes batailles

Que l’étoile du matin plus éblouissant.

Mais les épées, les sabres et les yatagans,

Dans les plaines par la guerre tourmentées

Tombent avec un vacarme d’ouragan

Sur les têtes des populations épouvantées.

 

Et le sang versé coule en écarlates trainées

Et va dans les ravins, lugubres tombeaux.

Des survivants en loques, les armes brisées

Vont ça et là à la lueur des flambeaux.

 

Puis soudain dans le firmament immense

Où l’éclair traine sur le front des nuées,

Une voix s’élève, parle et recommence :

« Mécréant, à genoux ! A genoux et priez ! »

 

Et c’est là que s’achève mon rêve.

Je m’éveille soudain, un peu effrayé…

Je me retrouve allongé sur la grève,

Regardant la vague mourir à mes pieds.

 

CHABANE  Mohand

 

 

 

 

 

 

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